Intempéries – Quand ça déborde…

Un automne pluvieux comme jamais, et ce fut la totale sur les Pays de Savoie : crues majeures de l’Arve et de l’Isère, inondations, remontées de nappes, débordements des lacs, laves torrentielles et multiples glissements. Un automne fou, mais plein d’enseignements.

Clin d’œil malicieux : le 14 novembre dernier, le Syndicat mixte du bassin versant de l’Arly (SMBVA) organisait à Albertville une séance du « Résilience tour » avec l’Institut des risques majeurs (Irma) et les services  de l’État et du Département de la Savoie. Un exercice sur table pour sensibiliser les élus à la gestion d’un plan communal de sauvegarde (PCS) et d’une inondation. La veille à 17 h 30, l’évènement était annulé. Finalement, l’exercice se ferait sur le terrain, avec des crues annoncées exceptionnelles pour le mardi 14…

En deux mois d’automne, les pays de Savoie ont essuyé de six à huit mois de précipitations, sans subir d’évènements majeurs, mais en jouant régulier, « fond de court ». Inlassablement il pleuvait. Ou il neigeait. « Après des étés secs qui ouvrent les sols, nous sommes de plus en plus confrontés à des épisodes humides dans un automne aux températures hésitantes. L’alternance du froid et de redoux a des résultats calamiteux », constate Bruno Forel, maire de Fillinges et président du SM3A, le syndicat gémapien de la vallée de l’Arve.

Des monstres dévalant les vallées

Dans la nuit du mardi au mercredi, le débit de l’Isère est monté à 850 m3 par seconde à Albertville. Un niveau jamais atteint depuis 1940. Dans la vallée de l’Arve, on atteignait une crue centennale à Arthaz (proche de Genève). Sur l’Arve et sur l’ensemble Isère-Arc, qui irriguent les grandes vallées savoyardes, les rivières sont suivies depuis longtemps, et les crues calibrées en vue des PPRI (Plans de prévention du risque inondation). Mais il est une chose d’imaginer sur le papier ce que sont des crues cinquantennales ou centennales, et une autre de le vivre en direct, avec toute la puissance de ces monstres dévalant les vallées. Les bulletins de Météo France annonçaient des précipitations fortes (jusqu’à 120/150 mm en trois jours), mais surtout une remontée de l’isotherme 0° à 2600/2800 m, permettant la fonte d’une partie de la neige accumulée les semaines précédentes. Pour les pouvoirs publics, la question majeure est la fiabilité de la retranscription de ces précipitations en débit dans les rivières, car de là découlent toutes les actions de prévention ou de secours à mettre en place. Sur l’Arve, les prévisions du dimanche 12 novembre faisaient état de préci fortes, avec des fourchettes allant du simple au double (de 325 à 625 m3/s à Arthaz). Le lundi, les craintes gonflaient (prévision de 520 à 800 m3), pour passer à 540/810 le mardi, et un pic finalement constaté de près de 1 000 à 1 200 m3/s. « Même si le système de mesure arrive à n’être plus très fiable à certains volumes, nous sommes devant la plus grande crue de l’Arve depuis 1903 », note Bruno Forel. 

Le changement depuis 1903, c’est que la population du département est passée de 260 000 à 850 000 habitants, la nécessité de protection était multipliée en conséquence. « Sur un évènement comme celui-ci, le premier enjeu est de mesurer tout ce qui peut être mesuré, afin de disposer d’informations claires et fiables pour les analyses ultérieures. » C’est aussi ce qu’ont fait les « gémapiens » savoyards, afin de pouvoir comparer les modèles théoriques et ce qui s’est vraiment passé sur le terrain. Relevés drones, relevés topos du pic de crue, photos et témoignages vont permettre de mieux caler les choses pour le futur.

La question de l’information

Lors de ce premier acte, la circulation de l’information a aussi été un sujet compliqué entre les élus sur le terrain et le centre de commandement à la préfecture. En haut, les décisions se prennent en fonction des modélisations initiales. En bas, en fonction des réalités du terrain. « L’exemple, c’est la suspension des transports scolaires en Chautagne par le préfet lors du premier épisode. C’est potentiellement très impactant sur le terrain, alors que toutes les routes ne sont pas inondées. Cela s’est vite réglé, mais c’est un bon exemple de la difficulté de circulation des informations, et de la souplesse qu’il faut accorder au terrain » note Marie-Claire Barbier, maire de Chindrieux.
En Combe de Savoie, la crue du 14 novembre fut un test pour les travaux réalisés depuis dix ans sur les digues et sur le nettoyage du lit de la rivière dans le cadre du Programme d’actions et de prévention des inondations (Papi2) du Syndicat mixte de l’Isère et de l’Arc en Combe de Savoie (SISARC), financé à 100% par l’État. Test réussi, puisque cette crue cinquantennale a fait moins de dégâts que les décennales précédentes. Pour autant, la faible hauteur des digues en aval du pont de Grésy-sur-Isère a conduit à la fermeture préventive de tous les axes routiers de fond de vallée, autoroute comprise. Par chance, le pic de crue a eu lieu la nuit, avec une très faible circulation, et donc peu de véhicules à stocker ou à détourner. Dix heures durant, la seule voie circulable en Combe de Savoie fut la petite RD 201, la route des vignes, ce qui était « juste » en termes de maintien des secours et de la sécurité…
Là encore, l’optimisation passe par une bonne circulation des infos en temps réel entre Département, SDIS et gendarmes. En Tarentaise, les hautes eaux de l’Isère ont commencé à bloquer des portions de la RN 90 à 2×2 voies, tandis que les départementales latérales étaient coupées par des laves torrentielles. Par chance, l’événement est survenu hors saison touristique…

Acte 2 : les laves torrentielles

Le plus violent en montagne, ce sont les laves torrentielles. Le 14 novembre, plusieurs évènements majeurs ont eu lieu en même temps que la crue des rivières principales. À Notre-Dame-de-Briançon (commune de La Léchère), le torrent de Gleize est sorti de son lit dans la nuit du 14 au 15. Passant sans encombre sous la RN 90, le flux a bloqué sous le pont SNCF, ravageant les voies sur plusieurs centaines de mètres, et noyant plusieurs dizaines de maisons sous plus d’un mètre de matériaux. La commune a immédiatement mis du monde en sécurité dans des salles communales non impactées. Même solution d’évacuation à Saint-Sorlin-d’Arves, où un torrent boueux a envahi le village, malgré la présence d’une plage de dépôt en amont.
Passée la peur initiale (avec la chance de ne pas avoir de victimes !), le gros du problème est la remise en état, qui prend des jours ou des semaines, avec des sinistrés dans l’incapacité de retourner chez eux à court terme (et des assurances assurant un court temps d’hébergement d’urgence). Il peut alors devenir difficile d’expliquer pourquoi tout prend du temps, depuis les procédures internes de la SNCF (qu’il faut enjamber pour espérer rouvrir la voie de Tarentaise pour les usines et surtout les touristes d’hiver !), jusqu’au temps administratif pour obtenir un état de catastrophe naturelle, via l’épineux problème du dépôt des matériaux issus des laves torrentielles, dans des vallées très contraintes, fortement marquées par des PPRI interdisant tout dépôt… Problème d’autant plus lourd que l’épisode de crues et de laves a aussi touché nombre de torrents moins médiatisés, où communes et « gémapiens » avaient au préalable réalisé des plages de dépôt à l’amont des villages. Quand cela fonctionne bien, personne n’en parle, mais l’évacuation peut coûter plus de 100 000 euros, écornant  brutalement les marges de la taxe GEMAPI !

Acte 3 : les remontées de nappes

Le cumul des phénomènes entre le 14 novembre et le 15 décembre amène aussi à des analyses importantes pour l’urbanisation et l’occupation des vallées. « Nous sommes attentifs depuis longtemps aux zones considérées comme inondables, mais le phénomène de remontées de nappes sur des sols saturés doit aussi être pris en compte », ajoute Bruno Forel. Encore a-t-on eu la chance de subir les précipitations sur des sols non gelés, donc capables d’éponger une grande part de ce qui est tombé. Les bords des grands lacs ont aussi vu des « crues » à des hauteurs et des durées inhabituelles,  occasionnant des dégâts pour nombre de structures touristiques du bord de l’eau. Dans la plaine de l’Isère, les remontées de nappe ont parfois inondé des entreprises, ou les sous-sols de maisons où l’on avait oublié la possibilité du phénomène. Et s’il est toujours dommage de perdre des patates ou des bouteilles,  l’installation de chaudière ou de tableaux électriques en sous-sols a souvent entrainé des dégâts considérables. En Tarentaise, un Ehpad a dû être évacué à la suite de la remontée de la nappe dans son sous-sol… 
Ce qui est une occasion de rappeler que les règlements des PPRI encouragent à la mise en sécurité des installations électriques au-dessus des niveaux de crues potentielles, chez les particuliers comme dans les collectivités.
Mais face aux familles impactées, les élus (et les pompiers !) ont du mal à jouer la sagesse. On pompe. Pourtant, quand la nappe remonte dans la cave, il est assez inutile de pomper et de rejeter dehors l’eau qui réalimente immédiatement la nappe…